Il est rare que de bonnes nouvelles surviennent dans le domaine de la protection du patrimoine bâti. Il faut célébrer ! Nous vous présentons deux cas de sauvegarde d’anciens bâtiments religieux importants qui ont des chances de connaître un heureux dénouement.
En début de juillet dernier, la Cour suprême du Canada refusait d’entendre l’appel d’un promoteur, propriétaire de l’ancien monastère des Moniales-Dominicaines-de-Berthierville qui contestait le classement de l’immeuble par le ministère de la Culture. Il arguait que ce classement équivalait alors à une expropriation déguisée, une cause qu’il a amenée en Cour supérieure et en Cour d’appel du Québec par la suite.
Résumons les faits : Le Monastère, situé au 1140, rue de Frontenac à Berthierville, occupé jusqu’en 2012 par les Moniales, a été construit en 1933-1934 selon les plans de Joseph-Albert LaRue (1891-1985), un architecte concepteur de plusieurs bâtiments religieux au Canada. Trois phases d’agrandissement avaient eu lieu par la suite jusqu’à l’année 1960 avec un souci de conservation des caractéristiques des plans initiaux, ce qui donnait une homogénéité à l’ensemble.
Le couvent d’une grande sobriété, de style néo-roman d’esprit Beaux-Arts, présente un parement de briques de couleur chamois et une toiture de cuivre. Son aménagement est représentatif de l’architecture monastique traditionnelle. L’ensemble, d’une qualité architecturale exceptionnelle, situé au cœur d’un aménagement paysager de grande valeur, représente un attrait unique au niveau national. Sa valeur avait été qualifiée d’exceptionnelle par la MRC d’Autray.
Un promoteur local, André St-Martin, qui a acheté le terrain en 2017 et l’ancien couvent des Moniales en 2019 a rapidement manifesté sa volonté de démolir l’ensemble des bâtiments, affirmant que les élus de Berthierville lui avaient confirmé qu’il n’y avait « rien de patrimonial » dans cet ensemble conventuel ! Il a d’ailleurs obtenu rapidement un permis de démolition du Conseil municipal. On aurait pu s’attendre à une réaction différente de la part de cette municipalité, qui possède sur son territoire deux immeubles classés, l’église Sainte-Geneviève (1782) et la chapelle Cuthbert (1786) ainsi qu’un riche patrimoine résidentiel. Elle avait par ailleurs omis l’obligation d’informer le ministère de la Culture et des Communications de la mise en vente du bâtiment.
Dès la vente de l’ancien couvent, alors que l’APMAQ s’apprêtait à intervenir auprès du promoteur et de la Ville, le ministère de la Culture et des Communications a entrepris une démarche qui mènera plus tard au classement du monastère et de ses terrains comme biens patrimoniaux. Le promoteur a alors entrepris une poursuite contre le Ministère pour laquelle il a été débouté en 2023 par la Cour supérieure. Le propriétaire s’est aussi vu contraint par les tribunaux à rembourser environ un million de dollars à l’État, soit la somme déboursée pour sécuriser le bâtiment, contre son gré. Voilà un geste positif qui lance un signal aux propriétaires qui négligent volontairement l’entretien d’un bien patrimonial. La Cour d’appel du Québec confirma le jugement de première instance en 2024, ce qui fera dire à l’avocat Charles Breton-Desmeules, professeur de droit municipal à l’Université du Québec à Ottawa « C’est un arrêt important, qui confirme la légitimité et la légalité de l’action publique en faveur de la protection du patrimoine. » En juillet de cette année, le refus de la Cour suprême d’entendre l’appel du propriétaire mit un terme à cette poursuite, en confirmant que le classement du site et de l’immeuble par l’État en tant que bien patrimonial ne peut être considéré comme une expropriation déguisée.
Les différentes composantes de cet ancien couvent des Moniales, dont certaines parties datent de 1960 sont de solides structures qui furent bien entretenues et qui présentent un grand potentiel de requalification à divers autres usages. Un brassage d’idées sur les besoins de la municipalité et de la région associée à l’embauche d’une firme d’architectes spécialisée dans le recyclage de bâtiments anciens serait le début d’une solution. Il ne faut surtout pas attendre encore cinq ans avant d’agir.
L’ancien couvent de Labelle est un bâtiment imposant de trois étages, typique des couvents construits au Québec dans le dernier quart du XIXe siècle et le début du XXe siècle.
Georges-Alphonse Monette, un architecte qui a œuvré, entre autres, à la construction d’églises, en est le concepteur. Il a adopté le style Second Empire, caractérisé par un toit mansardé et l’agencement symétrique des composantes architecturales dont la double lucarne centrale qui encadre une niche. Un clocheton central propre aux édifices religieux contribue au caractère de ce couvent.
Rappelons que cet immeuble est le plus important du noyau villageois, l’église locale ayant été détruite par un incendie au cours des années 1970. L’aspect extérieur de l’immeuble a été dégradé par des rénovations inappropriées il y a quelques années, mais il s’agit d’une solide structure en bon état dont l’intérieur a conservé une grande authenticité. Il était occupé par les bureaux du CLSC et par quelques logements jusqu’à récemment. Le couvent figure dans l’inventaire produit en 2013 par la MRC qui lui accorde une forte valeur patrimoniale.
En 2024, un promoteur proposait de construire sur le site de l’ancien couvent, un nouveau bâtiment qu’il présentait comme un cadeau à la municipalité. Outre le fait qu’il supposait la démolition de l’ancien couvent, un immeuble emblématique pour la population, le projet ne présentait aucun souci d’intégration dans le milieu villageois. Des citoyens se sont opposés rapidement à ce projet et plusieurs groupes de pression dont l’APMAQ, la Fédération Histoire du Québec (FHQ) et Action patrimoine ont appuyé la prise de position des citoyens, auprès de la municipalité, de la MRC des Laurentides et du ministère de la Culture et des Communications. La démolition de cet édifice était qualifiée d’indéfendable au niveau historique, architectural, environnemental et social.
Après maintes démarches et échanges, le Conseil municipal a toujours maintenu sa position d’accorder au promoteur un permis de démolition de l’ancien couvent, une décision qu’il annonçait en novembre dernier sur la base d’évaluations peu crédibles estimant des coûts de restauration farfelus, soit entre 7 et 13 millions de dollars et sur le fait que l’inventaire réalisé en 2013 n’avait pas de statut légal.
Devant les menaces imminentes de démolition, des citoyens se sont regroupés en formant le Comité de sauvegarde du couvent de Labelle; le Comité a obtenu le soutien de l’organisme Justice pro bono lequel accompagne les OBNL n’ayant pas les moyens d’accéder aux ressources juridiques. Une mise en demeure du Comité de sauvegarde adressée à la MRC des Laurentides en août dernier demandait à cette dernière de désavouer la décision du Conseil municipal de Labelle autorisant la démolition du couvent et l’informait qu’il entreprendrait tous les recours légaux au besoin.
Une campagne de sociofinancement a également été lancée par le Comité de sauvegarde afin d’assurer le financement des démarches juridiques et la réalisation d’une étude patrimoniale sérieuse par une firme d’architectes spécialisée en restauration de bâtiments anciens.
À la mi-août de cette année, bonne nouvelle, le promoteur a retiré sa demande de démolition de l’ancien couvent et s’est désisté du projet. Il est consternant de réaliser que ce soit des citoyens qui aient dû lutter pour conserver le caractère de leur village en lieu et place de la municipalité et de la MRC; n’est-ce pas là un constat que la délégation de pouvoir aux municipalités est un échec total?
Article tiré de La Lucarne – Automne 2025 (Vol XLVI, numéro 4).
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