La maison à murs-pignons découverts modifiée

La maison à murs-pignons découverts modifiée

1 juin 2020

Denise Caron, historienne

Suite du premier article publié dans le numéro du printemps 2020 de la Lucarne

 

La maison de pierre à murs-pignons découverts, très populaire dans la première moitié du XIXe siècle, se démarque principalement par un exhaussement du mur-pignon surmonté d’une imposante cheminée double (voir l’article précédent dans La Lucarne - printemps 2020). Avec le temps, l’exhaussement du mur-pignon découvert est source de problèmes. Plus exposé aux éléments, il s’effrite (ill. 1) ou constitue une source d’infiltration d’eau, à la jonction du mur-pignon et du toit. Tout cela demande un entretien fréquent.

Sans doute par souci d’économie à long terme, ou par un effet de mode consistant à prolonger le toit sur le mur-pignon, la majorité des maisons à murs-pignons découverts ont été reconfigurées en faisant disparaître ses principales caractéristiques : l’exhaussement, la cheminée double et une partie des pierres des corbeaux (ill. 5). Ces éléments distinctifs étant détruits, la maison prend alors l’allure d’une maison de pierre « traditionnelle » se fondant dans le paysage architectural faisant passer sous le radar leur passé de maison à murs-pignons découverts (ill. 8).

Un indice : les vestiges des corbeaux

Situées à l’angle supérieur du mur des façades avant et arrière, les pierres taillées du corbeau sont toujours superposées les unes aux autres (ill. 2), contrairement au reste de la maçonnerie qui, elle, est généralement faite de moellons disposés en quinconce. Lors de la démolition partielle du mur-pignon, les pierres taillées supérieures du corbeau disparaissent alors que les pierres inférieures restent encastrées dans les murs (ill. 4). Ce sont ces pierres qui constituent l’indice le plus sûr de la présence d’un mur-pignon découvert.

Pour chaque maison ainsi modifiée, les maçons utilisent des stratégies différentes pour intégrer les vestiges des corbeaux dans la nouvelle configuration du mur-pignon. Quelques-unes concernent les différences remarquées sur le mur de façade :

  • les pierres inférieures sont évidemment superposées ;
  • quand elles sont complètes, elles sont alors facilement reconnaissables par le galbe des pierres taillées (ill. 6) ;
  • la couleur de ces pierres taillées est uniforme et souvent différente du reste de la maçonnerie en moellon (ill. 4 et 5) ;
  • lorsque le galbe de la pierre est altéré ou détruit, partiellement ou complètement (ill. 5 et 7), il reste toujours deux pierres superposées (ill. 7). Parfois, on peut remarquer quelques traces de taille sur ces pierres altérées ;
  • elles sont camouflées sous la construction d’un larmier comme lors de la construction d’une galerie où il arrive que l’on contourne les pierres restantes des corbeaux (ill. 3 et 4) ;
  • sur le mur-pignon, les pierres sont intactes (ill. 4, 5 à 7) et leur taille n’est pas altérée. On peut voir le travail du tailleur de pierre (pierre peignée et piquée).

Les transformations profondes du profil de la maison

La modification de la toiture et du mur-pignon s’avère une entreprise d’envergure. Le mur-pignon découvert, surmonté d’une cheminée double, est massif et imposant, alors que l’organisation des fenêtres est équilibrée (ill. 8). Une fois les travaux achevés, cet équilibre originel est modifié radicalement (ill. 9). Le mur-pignon est moins imposant et la double cheminée est remplacée par une frêle cheminée perchée au sommet du pignon. Le toit recouvre maintenant le mur-pignon et frôle les fenêtres des combles.

Il arrive aussi que, lors des rénovations, le toit se prolonge en façade pour abriter une galerie qui peut camoufler les pierres restantes de corbeaux. La très populaire maison à murs-pignons découverts suit un modèle relativement homogène1 alors que les transformations subséquentes du mur-pignon, elles, ne le sont pas, chaque intervention entraînant des solutions différentes.

Dans une étude sur la maison Thomas-Brunet2, il ressort que, sur les îles de Montréal et Bizard, le nombre actuel des maisons qui ont perdu leurs murs-pignons découverts est beaucoup plus élevé que celui des maisons qui l’ont conservé, sans compter celles qui ont été démolies. Les maisons modifiées ou démolies devraient s’ajouter au corpus des maisons de pierre à murs-pignons découverts, contribuant ainsi à faire de cette typologie historique nettement sous-estimée, un élément essentiel de la compréhension de l’évolution de la maison rurale en particulier dans la grande région de Montréal.

denisecaron1534@gmail.com

1. Denise Caron. « La maison de pierre à murs pignons découverts de nos campagnes », La Lucarne, printemps 2020.
2.http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/cons_pat_mtl_fr/media/documents/ ETUDE_HISTORIQUE_DENISE_CARON.pdf


Article tiré de La Lucarne – Été 2020 (Vol XLI, numéro 3).

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