L’architecture vernaculaire du Québec

1 décembre 2016

L’architecture vernaculaire du Québec :
fin de route ou un futur en palimpseste ?

Arthur Plumpton, ingénieur, photographe et résident de l’Île d’Orléans

Une grange longue québécoise : architecture vernaculaire caractéristique à la fin de sa route. Photo : Arthur Plumpton.L’architecture vernaculaire existe-elle encore au Québec ? Les bâtiments inspirés par les modèles français des XVIIe et XVIIIe siècles se font de plus en plus rares dans le paysage québécois. En existe-t-il encore aujourd’hui des exemples construits à l’identique et même d’autres, des « palimpsestes », dont des éléments nouveaux se sont surimposés à des restes d’une époque antérieure ? Du VIIe au XIIe siècle, les moines copistes ont effacé et réutilisé d’anciens manuscrits; ce sont de fait des palimpsestes.

C’est un devoir de mémoire pour un peuple de conserver son passé architectural. Baudelaire écrit que la mémoire est un immense palimpseste où « des couches innombrables d’idées, d’images, de sentiments sont tombées successivement sur le cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais aucune en réalité n’a péri »1. Le palimpseste en architecture se comporte de même manière.

Plumpton_1. Asymétrie de l’architecture vernaculaire – maison de pierre du XVIIIe siècle. Photo : Arthur Plumpton.L’arrivée d’un deuxième peuple colonisateur au Canada, plus ou moins contemporaine du début de la révolution industrielle, a exercé son influence à la fois sur l’économie du pays et sur son architecture. J’ai déjà décrit la qualité unique de la grange longue (multifonctionnelle) québécoise dans cette revue2. Ce bâtiment est précisément un palimpseste. En effet, la charpente simple et moins imposante héritée de la mère patrie a été agrandie, surélevée et adaptée aux exigences de l’agriculture marchande du début du XIXe siècle.

En milieu urbain, les valeurs conventionnelles et rationnelles qui étaient celles de la France se sont effritées à l’arrivée des Britanniques au profit de la modernisation de l’économie, de la politique et de l’environnement social et matériel, lesquels bénéficièrent de l’industrialisation et de l’architecture néoclassique apportée par les nouveaux occupants du territoire. La superposition des styles architecturaux, le renouvellement de l’utilisation des espaces et l’évolution des us et coutumes du Québec au XIXe siècle sont décrites dans une étude remarquable de Luc Noppen3.

Je ne cache pas mes préférences pour la beauté et la fonctionnalité de l’architecture vernaculaire rurale au Québec. Longtemps impressionné par le classicisme et la symétrie de l’architecture du XVIIe au XIXe siècle lors de mes petites promenades dans les rues de Londres et de Paris, j’ai été surpris de découvrir dans le Québec rural la très grande beauté des anciennes habitations et vieux bâtiments de ferme, leurs formes simples et élégantes, leurs toits à deux versants et leurs ouvertures asymétriques percées dans les parois au gré de leurs besoins. L’écrivain américain Henry David Thoreau a remarqué au milieu du XIXe siècle les caractéristiques propres des maisons vernaculaires de forme simple dans l’Île d’Orléans et sur la Côte de Beaupré; leur style diffère des maisons d’architecture plus formelle de sa Nouvelle-Angleterre. La conjugaison très particulière de l’architecture traditionnelle créée en Nouvelle-France et de l’architecture classique européenne elle-même revisitée par les Britanniques était encore naissante. Ce qu’on appelé « la maison québécoise » est en effet un palimpseste des deux courants d’architecture.

Grange longue vernaculaire du Québec à multiples fonctions agricoles. Photo : Arthur Plumpton.S’ensuivit un clivage important dans l’architecture agricole traditionnelle québécoise au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. L’évolution de la grange longue québécoise et des autres modèles traditionnels cessa à l’apparition de bâtiments de conception américaine tels que prônés par le ministère de l’Agriculture de l’époque.

Le ministère gardien du patrimoine (MCCQ) a depuis accordé trois des cinq statuts de monument historique national (secteur architectural) aux granges rondes d’invention américaine et implantées ici à la fin du XIXe siècle. Pourtant, celles-ci n’ont eu aucun impact positif sur notre propre patrimoine agricole. Plutôt que de reconnaître et de promouvoir de tels exemples, le rôle du ministère ne devrait-il pas être de conserver, de promouvoir et de réhabiliter l’architecture vernaculaire unique du Québec ? Et pourquoi ne pas créer une nouvelle architecture d’ici et pour ici en superposant des palimpsestes modernes à ce patrimoine déjà bâti, afin qu’il demeure vivant et capable d’élargir son champ d’application aux autres structures agricoles et non agricoles ?

J’ose vous suggérer quatre moyens pour donner un élan à notre architecture vernaculaire : une volonté de conservation améliorée, surtout en milieu rural; la, reconstitution des bâtiments perdus; la réhabilitation de bâtiments existants; enfin, la construction de bâtiments modernes en se servant des éléments architecturaux traditionnels.

1 Charles-Pierre Baudelaire, Œuvres complètes de Charles Baudelaire, Michel Lévy frères, 1869, IV. Petits Poèmes en prose, Les Paradis artificiels, pp. 329-344.

2 Arthur Plumpton, « Les bâtiments agricoles au Québec », partie II, La Lucarne, Vol. XXXV (2015), no 1, pp. 4-5.

3 Luc Noppen, « L’architecture du Vieux-Québec ou l’histoire d’un palimpseste. Pour en finir avec le mythe de la juxtaposition », dans Marie-Andrée Beaudet, Échanges culturels entre les deux solitudes, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1999, pp. 19-40.


Article tiré de La Lucarne hiver 2016-2017 (Vol XXXVIII, numéro 1).

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