Pourquoi ?

23 février 2021

Thérèse Romer, fondatrice et ancienne secrétaire générale de l’APMAQ

Pourquoi y a-t-il une communauté d’esprit entre des gens, disparates, qui aiment la vieille maison qu’ils habitent ? Pourquoi ces personnes me paraissent-elles éminemment sympathiques, simples et vraies ? Pourquoi nous évertuer à faire revivre notre maison — chérie et choyée — pourquoi fouiller son histoire, pourquoi apprivoiser ses technologies résistantes au temps, pourquoi se donner tout ce mal ? Je ne sais pas. 

Et je ne sais pas non plus pourquoi nous nous distinguons de la majorité des Québécois qui ne jurent que par les lois du marché, la rentabilité et le « nouveau ». Pourquoi une indifférence générale envers la destruction de divers joyaux du patrimoine québécois, dernièrement à Sainte-Marie de Beauce, Saint-Sulpice, SeptÎles, Vaudreuil, Mascouche, Rive sud, Rive nord, où encore ?

Une réponse, je pense, est reliée à l’amour. En lisant attentivement les récits de Jean-François Nadeau, qui relate dans Le Devoir l’abandon et la démolition de tels bâtiments. Je remarque une chose : À la veille de leur disparition, plus personne ne les aimait.  Quelques passants les admiraient, oui, mais au fond tout le monde s’en lavait les mains. Alors le décompte en dollars prenait vite le
dessus. Bientôt il n’y avait plus rien à sauver. 

Comment en vient-on à aimer une vielle maison, les vieilles maisons ? Chacun pourrait raconter son histoire, souvent reliée à un hasard, une découverte. 

Mon histoire à moi ? Elle ressemble peu aux autres sans doute. Je suis née en Pologne. Cependant, mes parents étant des diplomates polonais, j’ai été élevée à Rome, à Lisbonne, à Tokyo, puis à Shanghai et à Johannesburg en temps de guerre, et enfin à Oxford (souvent dans de belles maisons très anciennes, parfaitement ordinaires en ces lieux-là). À la fin de la guerre, lorsque j’étais une jeune adulte, plus question de rentrer dans ma patrie, la Pologne, abandonnée par les pouvoirs Alliés aux tendres soins de Staline. Drame personnel, familial, sur fond de terribles drames qui tissaient l’histoire de l’Europe de l’Est. Mais une chance nous a souri : ma famille a pu s’établir à Montréal. 

Saint-Antoine-de-Tilly, souvenir de notre Congrès de 2005.Ainsi, à partir de 1950, j’ai appris à connaître et aimer la nature exubérante du Québec, l’histoire des gens bienveillants qui y vivaient, l’évolution intéressante du pays pendant la Révolution tranquille ; petit à petit je découvrais le Bas-du-Fleuve, Charlevoix, la Gaspésie, l’Estrie, la Beauce... Plus tard, le hasard m’amenait à faire souvent le trajet entre Saint-Eustache et Québec, au long de la rive nord du Fleuve avant la construction de la 640. Dans les villages historiques que nous traversions, je voyais le triste abandon de jolies et simples maisons anciennes, la mode étant alors aux « bungalows » californiens. Alarme ! J’ai tenté d’alerter le Conseil des Monuments et Sites du Québec qui prenait naissance à l’époque sous le leadership clairvoyant d’André Robitaille, lauréat du prix Robert-Lionel-Séguin 1988. Hélas, il y avait déjà trop à faire pour protéger l’important, le monumental. Comment consacrer du temps aux chaumières ? 

Eh bien alors, c’était à nous, les propriétaires petits et grands, de prendre les choses en main. Bientôt les bases de l’organisation étaient jetées, l’APMAQ commençait à regrouper des voisins, à mobiliser des énergies, à recourir aux compétences. Depuis presque quarante ans, notre association ne cesse de redonner courage, de rehausser la fierté des propriétaires et amis de maisons anciennes du Québec. N’hésitons pas à nous en féliciter ! 

Et documentons-en l’histoire. Racontons NOS histoires, nos amours, nos passions. Il y a presque dix ans, Pauline Amesse, Agathe Lafortune et moi avons voulu prendre une photo de groupe, créer un petit livre qui rassemble nos histoires en racontant le riche parcours d’Anita Caron, longtemps présidente de l’APMAQ. Nous espérions donner ainsi l’envol à d’autres souvenirs, d’autres récits, pourquoi pas à une petite bibliothèque de maisons anciennes du Québec ? 

C’est peut-être le temps d’y repenser.


Article tiré de La Lucarne – Printemps 2021 (Vol XLII, numéro 2).

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