La Chaudière attaque

La Chaudière attaque

26 mai 2021

Paul-André Bernard

Au printemps 2019 comme jamais auparavant, les Beaucerons ont été attaqués par la rivière Chaudière. Plusieurs maisons et entreprises situées dans les quartiers fondateurs des municipalités riveraines ont été ébranlées, envahies, contaminées, condamnées. Beaucoup étaient dignes d’intérêt au plan patrimonial.

La rue Principale de Vallée-Jonction le dimanche de Pâques 21 avril 2019. (Photo François Cliche)La Beauce est habituée aux inondations. Chez ses habitants, il est entendu qu’il faut se méfier de l’eau qui dort, qu’il faut se défier de la Chaudière, de son lit asséché et graveleux, de son filet d’eau tranquille des beaux jours d’été, car ses soubresauts sont nationalement connus, peu importe la saison.

Parmi les débordements les plus affligeants pour sa population, il faut citer ceux survenus aux années suivantes : 1778, 1896, 1917, 1936, 1947, 1957, 1976, 1982, 1987, 1991, 2006 et 2014. Cependant, les inondations catastrophiques de 2019 ont frappé si durement aux abords du cours d’eau qu’environ 650 bâtiments ont été ou seront bientôt rasés à Scott, Sainte-Marie, Vallée-Jonction, Saint-Joseph et Beauceville.

Comme il arrive souvent lors de semblables événements, le choc, la déroute, l’impuissance, le manque de ressources ou d’informations, les délais, les décrets ont compromis leur sauvegarde, en dépit de la Loi sur le développement durable adoptée en 2006 et de la Loi sur le patrimoine culturel votée en 2012, les deux se rapportant notamment au patrimoine bâti. Quant à lui, le ministère de la Sécurité publique s’est montré inflexible à tout projet particulier et fermé à toute dérogation.

Certes, ce drame a favorisé l’éveil de citoyens plus nombreux à la cause du patrimoine immobilier ; cependant la concertation efficiente des autorités à tous les niveaux de gouvernement quant à sa sauvegarde n’est sûrement pas pour bientôt. Chaque localité, chaque MRC devra ressortir l’inventaire de son patrimoine, le corriger ou s’en donner un, se fixer des cibles de conservation, se doter d’outils, favoriser idéalement la préservation d’îlots d’intérêt en plus de s’assurer de l’occupation de ces témoins du passé car, pour gagner un large appui populaire, la démonstration de leur fonction utilitaire et de leur relative rentabilité s’imposera. De leur côté, les défenseurs de cette cause, qu’il s’agisse de citoyens ou d’organismes, n’auront d’autres choix que de continuer d’exercer leur vigilance et d’alerter l’opinion puisque, chaque semaine, le Québec perd un peu de ses repères architecturaux anciens.

Le patrimoine bâti est une richesse non renouvelable, une signature identitaire. Il constitue un attrait touristique encore sous-exploité, sinon ignoré ou sacrifié. Plusieurs pays, tout comme certaines régions ou villes du Québec, ont compris qu’il est pourtant un levier économique. Si son pouvoir d’attraction et le profit qu’il engendre sont démontrés, force est de constater que la Beauce rencontre des obstacles qui en freinent l’appropriation et, parmi ceux-ci, le sous-financement en la matière n’est évidemment pas le moindre. L’adoption en mars dernier de la Loi 69 modifiant et enrichissant la Loi sur le patrimoine culturel pourra peut-être venir en aide aux Beaucerons qui souhaitent la sauvegarde et la valorisation des traces les plus visibles de leur histoire : le patrimoine immobilier. 


Article tiré de La Lucarne – Été 2021 (Vol XLII, numéro 3).

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