Mortiers et enduits : plus qu’un matériau de construction, une technologie qui évolue

Mortiers et enduits : plus qu’un matériau de construction, une technologie qui évolue

6 décembre 2022

Élizabeth Cloutier, restauratrice spécialisée en pierre et dérivés

Enduit sur maçonnerie (Moulin à vent de l’Hôpital-Général de Québec).Au moins aussi ancien que les constructions en pierre qu’il compose, le mortier est souvent méconnu des propriétaires de bâtiments anciens et, pourtant, son rôle dans la construction, la conservation et l’efficacité d’un bâtiment est essentiel.

Tout d’abord, qu’est-ce que le mortier ? Le mortier est un mélange de sable et de liant (chaux ou ciment, ou les deux) et parfois d’additifs. Lorsque mélangées avec de l’eau, ces composantes forment une pâte malléable, prête à être utilisée.

Essentiel à la construction d’un mur de maçonnerie, le mortier est principalement appliqué de trois façons. D’abord, entre les pierres pour coller les éléments de maçonnerie (pierres, briques, etc.). On l’appelle le mortier de pose : il forme les joints. Le mortier de remplissage, quant à lui, comble les vides que l’on retrouve dans le cœur des massifs de maçonnerie. Ce dernier est souvent composé d’un mélange incohérent de déchets et de surplus de construction : résidus de pierre, de bois, et de mortier. Enfin, celui que l’on observe à la surface des joints se nomme mortier de finition. En plus de participer à l’esthétique du bâtiment, il scelle le mur et permet les échanges gazeux entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment.

Exemple d’enduit avec poils d’animaux (Nouvelles-Casernes de Québec).Outre ses fonctions structurelles, le mortier est aussi employé sous forme de revêtement que l’on appelle, dans ce cas, mortier d’enduit ou crépi. En plus de ses qualités esthétiques, cette couche sacrificielle, facile à refaire lorsqu’elle est abîmée, a pour fonction de niveler et, surtout, de protéger le mur tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Considérant la rigueur du climat québécois, les bâtiments historiques en pierre étaient, à l’origine, généralement recouverts d’enduit.

Appliqué sur maçonnerie ou sur lattis, l’enduit se compose de trois couches superposées : l’accroche (première couche de mortier appliquée directement sur le mur), le dressage (couche de mortier intermédiaire plus lisse et plus mince que l’accroche) et le badigeon (couche de finition très fine, comparable à une peinture). Cette dernière, composée uniquement de chaux et de pigments, permettait d’embellir les surfaces. Elle était souvent de couleur rose, beige, blanche ou jaune. De plus, lorsque l’on observe un enduit, tout particulièrement du XIXe siècle, il n’est pas rare de constater la présence de poils d’animaux dans sa matrice. Ceux-ci servaient d’armature et renforçaient l’enduit qui pouvait alors s’adapter aux mouvements du bâtiment sans se détacher. Au cours du XXe siècle, l’amiante a remplacé les poils d’animaux et est devenu l’armature de prédilection dans les enduits et les plâtres.

Maison Lamontagne en colombage pierroté (Rimouski).Initialement très rattachée à la tradition, française d’abord et anglaise par la suite, la technologie des mortiers et leur mise en œuvre au Québec a évolué depuis le début du XVIIe siècle. En effet, les maçons d’Europe sont arrivés avec leur bagage de connaissances intimement lié à leur territoire d’origine : les pierres, la chaux, le sable, l’argile. Les modes de construction connus étaient adaptés à un climat plutôt clément, sans l’hiver rigoureux de l’Amérique du Nord. Par conséquent, les premiers bâtiments québécois en colombage pierroté, directement issus de ces modes de construction, n’ont pas pu résister aux vents glacials et aux cycles de gel-dégel. En effet, ces bâtiments réalisés à l’aide d’une ossature de bois dont les espaces vides étaient remplis d’un mélange de sable, de chaux et d’argile, et enduits en surface, performaient très mal au Québec. Les échecs des premières décennies du XVIIe et XVIIIe siècle ont ainsi obligé les maçons à transformer leur approche. Ceux-ci ont plutôt opté pour des maçonneries de pierres, jointes de mortier, et généralement enduites.

Gravure de Diderot montrant le travail de la pierre et la fabrication du mortier de chaux vive dans un bassin.À l’ère préindustrielle, entre le début du XVIIIe et le milieu du XIXe, les matériaux de construction étaient la plupart du temps prélevés et préparés à même le site. On extrayait le sable des rivières avoisinantes et on construisait un four à chaux, nécessaire à la fabrication du mortier, tout près de la résidence à bâtir. Le calcaire disponible était cuit à haute température pour en faire de la chaux vive, souvent employée directement dans le mortier. Cette technique de mise en œuvre permettait la rapidité d’exécution et une bonne adhérence du mortier.

Jusqu’à la fin de la période préindustrielle, la chaux était soit hydraulique (faisant prise dans l’eau), soit hydratée (faisant prise à l’air), selon le type de pierre disponible sur place. Vers le milieu du XIXe siècle, une chaux hautement hydraulique, appelée ciment Gauvreau, a été brevetée à Québec. Issu de la pierre noire du Cap, cet ancêtre du ciment Portland, aussi appelé ciment naturel, fut utilisé jusqu’à la fin du XIXe siècle. Avec l’arrivée de l’ère industrielle, la technologie de la fin du XIXe siècle a permis aux fours de cuire à plus haute température, passant de 900 °C à 1450 °C, permettant ainsi de produire le ciment Portland, une véritable révolution dans le milieu de la construction. En effet, plus facile d’usage et plus versatile que son ancêtre, le mortier à base de ciment Portland a contribué à la construction accélérée de bâtiments plus hauts. Aujourd’hui, l’emploi du ciment Portland dans les mortiers demeure très répandu, ce qui mène à une perte des savoir-faire liés à la fabrication traditionnelle du mortier. Bien que le ciment Portland devienne désormais une solution universelle, son usage n’est pas toujours adapté aux bâtiments anciens en pierre. À terme, cet usage systématique créera des problèmes de dégradation multiples ayant parfois des conséquences graves mais évitables sur l’état de notre patrimoine bâti.


Article tiré de La Lucarne – Hiver 2022-2023 (Vol XLIV, numéro 1).

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