En patrimoine, nous avons l’habitude de rétrospectives plutôt négatives. On compile les histoires de bâtiments longtemps laissés à l’abandon avant d’être démolis, perdus à jamais. On se souvient des disparus : artisans, chercheurs, maîtres à penser, bénévoles engagés et autres dont la mémoire et les connaissances infinies nous ont inspirés. Cette année n’a malheureusement pas fait exception et nous déplorons les pertes à travers le patrimoine.
Malgré tout, le patrimoine est aussi un milieu riche de succès, de projets révélant l’ampleur des possibilités de la culture québécoise et des savoir-faire locaux. C’est ce que l’APMAQ souhaite souligner cette année en célébrant les meilleurs coups de 2023 en patrimoine bâti !
Nous vous présentons une compilation de gestes qui ont attiré notre attention.
Cette année, de nombreuses municipalités ont fait preuve d’un engagement sincère, nouveau ou renouvelé, envers le patrimoine bâti par différentes actions. Plusieurs ont mis en place des programmes d’aide financière afin de soutenir les propriétaires d’immeubles d’intérêt patrimonial dans leurs travaux, pensons à la Ville de Beloeil qui en adoptant un règlement de citation pour protéger plusieurs bâtiments anciens a aussi mis en place un programme de subvention aux travaux.
La Ville de Longueuil a signifié son intérêt pour acquérir le couvent des Sœurs-des-Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie. En plus de ses qualités patrimoniales et de sa contribution au site patrimonial du Vieux-Longueuil, l’ensemble immobilier du couvent serait convoité par la ville pour ses valeurs sociales qu’elle souhaite voir perdurer dans le temps.
Évidemment, l’entrée en vigueur de nouvelles règles imposées par le ministère de la Culture et des Communications du Québec a eu son effet sur l’adoption par les municipalités de règlements sur les démolitions et sur l’occupation et l’entretien des immeubles aussi. Ces règlements ne visent pas uniquement les édifices patrimoniaux et c’est, bien sûr, à l’usage que nous pourrons juger de leur effet réel sur la conservation patrimoniale.
Pour sa part, la Ville de Québec a adopté un règlement sur les demandes de démolition allant au-delà des exigences gouvernementales. Grâce à ce nouveau règlement, la Ville de Québec pourra, entre autres, obtenir une étude sur l’intérêt patrimonial d’un immeuble ainsi qu’une expertise professionnelle décrivant l’état de l’immeuble au moment de la demande de démolition. La Ville pourrait aussi exiger, qu’advenant la démolition d’un immeuble sans autorisation, ou sans respect des conditions de démolition, le propriétaire ait l’obligation de le reconstruire.
Notons que la Ville de Montréal a adopté un Règlement sur l’occupation et l’entretien des bâtiments dont les exigences supplémentaires s’appliquant aux édifices patrimoniaux visent à en assurer un suivi rapproché.
On note une reconnaissance croissante pour le patrimoine bâti plus récent. L’usage est de se référer à l’année 1940 pour qualifier le bâti d’ancien et, potentiellement, de patrimonial. Or le patrimoine plus récent fait de plus en plus parler de lui ! Le magazine Continuité lui a dédié un numéro intitulé Patrimoine moderne — À la défense du bungalow (n.176, Printemps 2023). De son côté, la Ville de Laval a établi un premier inventaire du patrimoine moderne se trouvant sur son territoire.
L’APMAQ s’est elle aussi intéressée au patrimoine récent par l’entremise d’une conférence sur le patrimoine résidentiel des banlieues. Celle-ci a eu lieu en janvier 2023 et a été présentée par Lise Walczak, doctorante à l’Université de Montréal. Le patrimoine résidentiel n’est donc pas qu’ancien et valoriser les valeurs patrimoniales de constructions plus récentes leur assurera, espérons-le, une meilleure conservation.
Cette année, certains projets ont été freinés par la défense des intérêts patrimoniaux. Rappelons que nouvelles constructions et patrimoine ne sont pas en opposition, et que l’un et l’autre doivent être complémentaires pour améliorer le développement urbain. Les quartiers anciens sont des environnements riches, construits à échelle humaine, au cadre bâti diversifié, ce que reconnaît un promoteur qui souhaite y implanter un projet justement pour leurs qualités. Les quartiers anciens doivent demeurer investis par les résidents. En ce sens, un projet peut toujours y être souhaitable. Si la tendance était que les projets irrespectueux des valeurs patrimoniales allaient de l’avant sans obstacle, cette année nous notons que certains ont été rejetés. Pensons notamment à ce que nous pouvons aisément qualifier de saga de la Maison Allumette de Gatineau, pour laquelle la Ville a voté pour ne pas autoriser sa démolition. Bien qu’il semble que le promoteur soit toujours en démarches, l’affirmation des élus de Gatineau pour la conservation du patrimoine unique est remarquable.
À Berthierville, c’est un jugement sans précédent qui a condamné un promoteur à rembourser 1 million $ à l’État pour les interventions nécessaires à contrer la détérioration du monastère des Moniales. Le propriétaire avait failli à sa responsabilité de préserver l’édifice. C’est donc le ministère de la Culture et des Communications qui a entrepris les travaux d’étanchéité et mise à jour du système électrique, entre autres. À ce jour, le monastère a survécu à deux techniques détournées de démolition: l’incendie, en mai 2022, et l’absence d’entretien. Le monastère des Moniales aura permis de démontrer la portée de la Loi sur le patrimoine culturel. En espérant que la prochaine étape sera une requalification inspirante du lieu.
Au mois de mars, les mobilisations de citoyens et d’organismes de protection du patrimoine ont mené à l'annulation de la vente du couvent de St-Gédéon. Une excellente nouvelle pour la sauvegarde de l’ancien couvent et pour les regroupements de citoyens qui chérissent leur patrimoine bâti. Le comité de Sauvegarde de l’APMAQ a soutenu ces élans citoyens ainsi que plusieurs autres au cours de l’année, notamment celui pour la sauvegarde de la Maison brune de Rimouski, dont la démolition a été autorisée, ou celle de l’édifice de Chocolats favoris dans le Vieux-Lévis dont l’issue est toujours inconnue au moment d’écrire ces lignes.
Si à travers l’année, les résultats n’ont pas toujours été au niveau de l’engagement des citoyens, leur prise de parole est importante et significative. Le comité de Sauvegarde de l’APMAQ est à l’écoute des préoccupations citoyennes pour la préservation du patrimoine résidentiel.
Plusieurs sites patrimoniaux ont acquis un statut de reconnaissance en 2023. En juillet, le Noyau-du-Quartier-Chinois, ainsi que l'ancienne manufacture de cigares S. Davis & Sons et l'édifice de l'École-Britannique-et-Canadienne-de-Montréal ont été classés par le ministre de la Culture et des Communications du Québec. Une nouvelle dont nous nous réjouissons, car ce statut permettra de conserver les valeurs patrimoniales uniques de ce site en y limitant les pressions de densification urbaines qui assaillent ce secteur du centre-ville de Montréal.
Au mois de septembre, c’est l’unicité de l’île d’Anticosti qui fut inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO. Bien que ce sont plutôt ses qualités géologiques et paléontologiques qui lui ont valu cette reconnaissance, l’ensemble du site bénéficiera de cette visibilité exceptionnelle. À la suite de l’ajout sur la liste du patrimoine mondial, 16M de dollars ont été annoncés par Québec pour soutenir la mise en valeur du lieu. De cette somme, 5 millions seront destinés à la consolidation du patrimoine bâti de la Sepaq qui permettra l’accueil des visiteurs venus découvrir les richesses d’Anticosti.
On ne peut passer sous silence le geste sans précédent du ministre de la Culture et des Communications, qui, en octobre, a accordé un statut de reconnaissance patrimoniale à plus d’une trentaine de patrimoines québécois. Des 81 dossiers en évaluation, dont plusieurs déposés depuis bon nombre d’années, 36 éléments patrimoniaux ont été classés ou désignés. Célébrons ces 36 reconnaissances patrimoniales, dont le Château Zoé-Turgeon à l’Ange-Gardien ou le site patrimonial du Domaine Louis-Joseph-Papineau à Montebello. Le ministre a aussi annoncé des délais de traitement de 18 mois pour les prochaines candidatures. Difficile de passer sous silence qu’une majorité des candidatures présentées n’ont pas été retenues.
Plusieurs autres bonnes nouvelles en patrimoine bâti ont été annoncées en 2023. Nommons l’inspirant projet Pax Habitat installé sur le site de l’Abbaye Notre-Dame de la Paix, à Joliette. Deux groupes de religieuses y ont uni leurs ressources pour créer un milieu de vie en transformant leurs Maisons offrant une centaine d’unités de logement pour aînés, un CPE, un parc ouvert au public, des activités communautaires et culturelles. Un lieu qui fait rayonner l’héritage des religieuses Bénédictines et de la Congrégation des sœurs des Saints Cœurs de Jésus et de Marie et un patrimoine résidentiel qui s’inscrit dans l’avenir de la communauté de Lanaudière.
Autre promesse à venir : la reprise des activités du restaurant du 9e étage chez Eaton, à Montréal, un chef-d'œuvre Art Déco. Selon les dernières annonces, l’ouverture devrait avoir lieu au printemps 2024. Espérons que cela fera partie des bons coups 2024!
Et vous, quel bon coup aimeriez-vous célébrer ?
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