Sainte-Adèle : des citoyens réussissent à sauver de la démolition l’ancien couvent des Sœurs de la Providence

11 novembre 2024

Michel Bellemare

L’ancien couvent tel qu’il était en juillet dernier, inhabité depuis des mois et placardé.De nombreux citoyens de Sainte-Adèle, dans les Laurentides, ont poussé un véritable soupir de soulagement empreint d’émotion le 4 septembre dernier en apprenant que la demande de démolition visant l’ancien couvent des Sœurs de la Providence était rejetée.

Devant eux, en direct, les membres du comité de démolition de la Ville ont présenté les faits et ont voté à deux contre un en défaveur du projet de faire disparaître du paysage ce bâtiment plus que centenaire. Le demandeur proposait la démolition complète de l’ancien couvent afin de construire sur son site quatre immeubles de trois étages comprenant un total de 129 logements.

L’entrée latérale de l’ancien couvent de la rue Lesage.« Les besoins de la ville en logements à saveur sociale, et abordables, sont réels, mais on a constaté un intérêt flagrant pour conserver le bâtiment », nous a indiqué au téléphone quelques jours après le vote, Richard Allard, qui dirige les séances du comité de démolition.

Une pétition mise en ligne dans la foulée de la publication de la demande de démolition au début de l’année comptait récemment plus de 640 signatures.

« Le comité de démolition vient de voter contre!!! Je suis très content et ému », nous écrivait dans un courriel quelques instants après le vote du comité Steve Melanson, un résident de Sainte-Adèle membre du Comité des Citoyens Unis pour la Conservation du 220 Lesage, et l’initiateur de la pétition en opposition à la démolition de l’ancien couvent des Sœurs de la Providence.

« On a gagné une énorme manche, [...] mais c’est un dossier à suivre. Quelle sera la suite? C’est une bonne question », nous a-t-il confié lors d’un entretien téléphonique la semaine suivant la décision du comité.

La porte est maintenant ouverte à de nouveaux projets conformes aux besoins de la communauté et susceptibles d’obtenir l’assentiment populaire, qui pourraient venir du propriétaire du site, d’un promoteur ou d’organisations citoyennes intéressées, ou encore de la municipalité. Mais, comme nous l’a suggéré Richard Allard, le propriétaire «est toujours maître de sa propriété».

La Lucarne a tenté d’obtenir les commentaires du propriétaire des lieux dans la foulée de la décision du comité de démolition, mais en vain.

Au cours de l’été, Steve Melanson, dont le rôle a été central dans le dossier du couvent, nous avait soumis le texte suivant pour le bénéfice des lecteurs de La Lucarne, alors que n’était pas encore connue la décision du comité de démolition. Nous avons décidé de publier intégralement ce texte qui témoigne de l’attachement citoyen à ce lieu historique:

Le couvent tel qu’il était en 1923. Source: BAnQ (Fonds Famille Papineau).« Du haut du Sommet-Bleu, si je descends sur la rue Richer entre les arbres touffus qui se nourrissent de l’espace, apparaissent au loin les montagnes, comme un point de vue dissimulé qui ose encore pointer le nez. Les maisons du quartier se cachent sur leur terrain boisé : soit qu’on les devine, soit qu’elles se révèlent sous la ramure des arbres, mais la nature domine. La rue a une bonne pente, elle mène en bordure du lac. À mi-chemin, soudain sur la droite, se dessine un large bâtiment de briques rouges. Il grandit plus je m’approche et s’impose. J’ose pénétrer son lieu, où respire encore l’histoire, le silence des Sœurs de la Providence qui, elles-mêmes, me précédaient d’un siècle dans les mêmes foulées. Sur l’ancien aménagement du vaste terrain, la nature reprend de plus en plus ses droits, mais si l’on y est suffisamment attentif, par différents menus détails, le film du passé fait renaître les sœurs dans leurs différentes activités et déplacements. J’y ai par exemple décelé la piste qu’elles empruntaient pour faire en marches pieuses la boucle de leur lieu de recueillement. Sur le bâtiment aussi s’inscrivent ce passé et son expérience, comme on peut facilement déceler sur la devanture, l’ancienne entrée principale qu’on atteignait par le trottoir de béton joignant le petit rond-point asphalté. Un des moments les plus vivants de visions du passé que j’y ai vécues fut la découverte de la vieille barre d’attache pour les chevaux. Lorsque l’on marche, contemplatif, en un tel lieu, le passé se met à revivre en soi pour faire palpiter l’enchantement d‘une réalité qui respire toujours.

C’est ce genre de choses que les membres de comités de démolition des villes ne connaissent pas, ne reconnaissent pas, et veulent décimer d’une manière irréversible en laissant se faufiler des développements laids et insipides, souvent bruyants et toujours sans âme. Le couvent des Sœurs de la Providence n’est pas le seul lieu qui fait de Sainte-Adèle une ville d’histoire vivante et concrète, par son architecture rayonnante. C’est en arpentant son territoire qu’au hasard des coins de rue, ici et là, on peut ressentir qu’elle est héritière, non seulement de manière littéraire, de la prégnance des Belles histoires des Pays-d’en-Haut, mais – la réalité dépassant toujours la fiction –, que lesdits Pays-d’en-Haut font battre le cœur par l’atmosphère qui se dégage de ses artères villageoises. Même si on la traverse distraitement en voiture, cela imprègne notre âme.

La beauté a quelque chose à dire et nul n’a besoin d’argumenter que l’architecture ancienne considérait ce langage, alors qu’elle ne sert plus aujourd’hui que l’utilité. « La forme suit la fonction » a proféré l’architecte américain Louis Sullivan à la fin du XIXe siècle. Son crédo a donné naissance à une architecture moderne qui ne considère plus que la fonction et l’utilité, sans aucune considération pour la beauté. Or, lorsque cette beauté, par l’histoire vivante, palpite encore au sein de nos milieux de vie, bien assise sur ses fondations d’une autre époque, il est de notre devoir de la préserver. Tant en va-t-il de tous les bâtiments qui parlent toujours du foisonnement qui a fait naître nos villes et villages. Le patrimoine parfois chuchote, parfois gonfle le torse, et souvent se glisse dans la vision inconsciente du passant pressé. Mais de toute manière, il irradie l’environnement et imprègne l’âme de tout ce sur quoi il réverbère. Le patrimoine se déverse, remplit l’espace; comme un torrent, il ressuscite perpétuellement son époque qui n’est plus. Il donne la beauté, il donne le goût de le côtoyer, le goût d’y vivre, le goût de vivre. Ce ne sont pas là des exagérations poétiques. Ineffablement, la beauté donne un sens à la vie. On ne sait pas pourquoi. Il semble qu’elle soit un portail d’un autre monde.

Par les lieux du couvent, j’ai ainsi rejoint la rue Lesage. L’église est dans mon champ de vision. Quelle chance qu’il soit midi pour que je sois traversé, comme tous les jours à la même heure, par les vibrations de ses cloches. Si je me retourne, le couvent se lève dans toute sa force. Encore une fois, je l’aurai côtoyé. Ce n’est pas un rêve qui me comble, ici. C’est quelque chose du réel qui est bien plus grand que le perceptible.

Le 12 février 2024, après une rapide, courte et intense mobilisation de deux Adélois-es, et avec le dépôt d’une pétition de maintenant plus de 600 noms et la présence de quelques 60 citoyens, le conseil municipal a décidé de reporter sa décision quant à la demande de démolition de l’ancien couvent des Sœurs de la Providence. L’acquéreur du terrain veut y construire 129 unités de logements multifamiliales avec stationnements intérieurs. Les citoyens sont maintenant aux aguets de l’annonce de la prochaine séance publique du comité de démolition. »

Le comité de Sauvegarde de l’APMAQ et la Fédération Histoire Québec (FHQ) avaient joint leurs voix à celles des citoyens de Sainte-Adèle s’opposant à la démolition de l’ancien couvent.
Extrait de la lettre envoyée au comité de démolition le 8 février 2024 :

« ... l’ancien couvent est un témoin important de l’éducation dispensée dans cet ancien secteur de Sainte-Adèle, la Communauté des Sœurs de la Providence y ayant inauguré l’édifice en 1917. Il fait partie du paysage depuis déjà plus de 100 ans. Occupé par les religieuses jusqu’en 1988, l’intégrité de son bâti est somme toute demeurée intacte. Il est vrai qu’il s’agit d’une construction humble mais qui n’en est pas moins d’un intérêt patrimonial pour ses valeurs architecturales, historiques et communautaires. De plus, le terrain environnant est d’une grande qualité paysagère présentant une pente, un couvert végétal important et des arbres majestueux. »


La FHQ et l’APMAQ soutiennent aussi que la démolition de l’édifice serait en opposition aux principes de développement durable puisque la fin de vie de l’édifice est loin d’être atteinte.

Dans le contexte du manque de disponibilité de logements dans la région, il serait mal avisé d’en retirer, particulièrement pour un projet de remplacement dont la conception ne respecte ni les valeurs patrimoniales du lieu, ni la qualité de l’environnement d’accueil.

Nous vous invitons à consulter sur le site internet de l’APMAQ l’intégralité de cette lettre, ainsi que celle appréciant la décision du comité de démolition de la Ville de Sainte-Adèle d’obtenir un dossier complet avant de se prononcer.

Le bâtiment s’insère dans une végétation mature.


Article tiré de La Lucarne – Automne 2024 (Vol XLV, numéro 4).

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