L’environnement légal d’une intervention sur une maison ancienne

11 novembre 2024

Me Danielle Larose, ethnologue et conseillère juridique

Échafaudage pour la restauration d’une maison construite vers 1830, à Beaupré.Restaurer, rénover voire réparer une maison ancienne c’est tout un art qui nécessite beaucoup de talent. Trouver la perle rare qui fera les travaux n’est pas une simple tâche. Encore faut-il que cette personne ait les compétences « légales » pour contribuer à la réalisation de l’ouvrage.

Les interventions sur une maison ancienne doivent suivre les règles de l’art, l’esprit de son histoire et les lois de notre époque. Comment concilier les normes modernes et l’historicité de la construction?

L’histoire de la maison, la date de sa construction, son style architectural, ses éléments décoratifs distinctifs et les modifications au fil des ans sont autant d’informations qui doivent être documentées dès le départ.


Un statut du patrimoine bâti

Avant de débuter des travaux, l’artisan doit vérifier le statut actuel de la maison. A-t-elle fait l’objet d’un statut particulier comme une citation municipale, un classement historique ou est-elle incluse dans une aire de protection tel un plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA)? Ce statut indiquera les premières normes qui devront être respectées pour agir à la fois en toute authenticité et en toute légalité.


Les lois de la construction

En principe, légalement, l’ouvrier doit détenir un certificat de compétences de la Commission de la construction du Québec (CCQ) et un permis d’entrepreneur de la Régie du bâtiment. De plus, toute personne qui travaille sur un chantier doit avoir suivi une formation en santé et sécurité sur un chantier de construction donnée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Mais la loi prévoit des exceptions.


Des définitions

Rabot, dans l’atelier de Jean Lachance.Voyons quelques définitions juridiques pour ne pas se perdre en ambiguïtés :

Au sens de la loi (R-20 ), la fondation, l’érection, l’entretien, la rénovation, la réparation, la modification, la démolition, les travaux préalables d’aménagement du sol exécutés sur les lieux mêmes du chantier et à pied d’œuvre sont d’autant de « travaux de construction ».

On peut alors se demander : Est-ce que les travaux exécutés sur une maison ancienne sont considérés comme étant « sur les lieux d’un chantier »?

Le terme légal de « chantier de construction » se définit très largement comme étant « un endroit où s’effectue les activités qui rendent un bâtiment prêt à être utilisé pour l’usage dont il est destiné ». Bref, la réponse est oui. Un chantier de construction existera aussi longtemps que des activités seront effectuées sur un bâtiment et que lesdites activités seront nécessaires pour le compléter et le rendre apte ou prêt à être utilisé.

Précisions ici le terme légal de « bâtiment ». Il s’agit de toute construction utilisée ou destinée à être utilisée pour abriter ou recevoir des personnes, des animaux ou des choses. Encore une fois cette définition couvre largement les maisons mais aussi les dépendances.


Les exceptions à détenir la carte de compétence

Réalisation de maquette et plan en préparation de travaux.La Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (R-20), mentionne deux types d’exception. D’abord, carrément des exclusions à la loi qu’on retrouve énumérées à l’article 19 de la loi. Une exemption est aussi prévue par règlement pour un salarié d’un entrepreneur. Dans ce cas, l’entrepreneur doit demander l’exemption pour les motifs que, sans les services de l’artisan, il ne pourra procéder convenablement à faire exécuter des travaux impliquant l’utilisation de techniques anciennes.


Les exclusions

La personne que vous engagez pour ses talents d’ébéniste, de charpentier traditionnel, de forgeron, de tailleur de pierre ou autre métier traditionnel, pourra réaliser les travaux sur votre maison, sans avoir un certificat de compétence délivré par la Commission de la construction du Québec notamment si elle répond aux conditions d’exclusion d’artisans ou d’exclusion des travaux pour un particulier.

a. Exclusion à titre artiste ou artisan :

  • La personne doit, notamment, réaliser ou restaurer une production artisanale originale (de recherche ou d’expression) intégrée à l’architecture d’un bâtiment;
  • Elle détient le statut d’artiste professionnel en étant membre du Conseil des métiers d’art du Québec ou du Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV) ou elle est un restaurateur professionnel ou une restauratrice professionnelle;
  • Elle travaille à son propre compte;
  • Les travaux qu’il ou elle réalise nécessitent un travail de création (recherche historique, ethnologique) et l’expression d’un talent dans le domaine du patrimoine bâti. Plus précisément, il ou elle a recours à des connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience en utilisant des techniques anciennes ou des outils adaptés.

b. Exclusion pour des travaux exécutés pour un particulier à des fins non lucratives :

  • Il exécute les travaux pour une personne physique, agissant pour son propre compte et à ses fins personnelles et exclusivement non lucratives;
  • Il s’agit de travaux d’entretien, de réparation, de rénovation et de modification d’une maison habitée par la personne-donneuse d’ouvrage ou il réalise les travaux sur un garage ou une remise annexée à la maison habitée par celle-ci.

Les exceptions à détenir une licence d’entrepreneur

Ancien presbytère, devenu Hôtel de ville de Deschambault.Qu’en est-il maintenant de l’obligation de détenir une licence d’entrepreneur selon la loi de la Régie du bâtiment.

Aucune licence de constructeur-propriétaire n’est nécessaire pour la personne physique qui exécute ou fait exécuter des travaux de construction d’une maison unifamiliale ou d’un ouvrage destiné à son usage personnel ou à celui de sa famille. Par contre, si vous agissez sous le nom d’une entreprise, cette exception ne s’applique pas. Elle ne s’applique pas non plus si une partie de la maison est occupée par un local ou un logement loué.

De même, la Régie du bâtiment a déjà mentionné sur son site web que la restauration non structurale d’éléments architecturaux intégrés au bâtiment, exécutées par des artisans utilisant des techniques artisanales différentes des travaux courants de rénovation, réparation ou entretien d’un bâtiment ne nécessitaient pas une licence. Ces travaux s’apparentent beaucoup plus à des travaux d’art qu’à des travaux de construction.

Il est prudent de vérifier auprès de la Régie du bâtiment.


Techniques anciennes versus normes modernes

En tant qu’ethnologue, il m’est arrivé de me demander comment appliquer les normes actuelles réglementant la construction, à une façon de faire à l’ancienne. La question se pose notamment pour les règlements de construction concernant les escaliers, les rampes, les balustres et les balcons.

Par exemple, lors d’un projet de restauration d’une galerie avec des balustres en fer forgé de moindre hauteur que celle exigée par le code de construction actuel doit-on appliquer la nouvelle norme?

Dans la plupart des cas, un droit acquis s’applique, donc il n’est pas nécessaire de se conformer au code de construction en vigueur ou au règlement de construction de la municipalité. Mais attention, un droit acquis n’équivaut pas à une permission de ne pas se conformer. Il s’agit d’une mesure dérogatoire. Le droit acquis permet de maintenir une situation de fait à la condition qu’elle était conforme au moment de la construction initiale. Par exemple, si la hauteur permise d’une balustrade était de deux pieds au moment de la construction et que cette norme avait été respectée à l’époque, alors, une rénovation aujourd’hui pourra s’en tenir à la norme de l’époque. Il est préférable de faire les vérifications auprès de la municipalité pour connaître le règlement en vigueur au moment de la construction. L’assureur en responsabilité civile devrait également être informé de façon à ne pas être tenu responsable en cas d’accident.

L’exercice des métiers d’arts du patrimoine bâti, qui consiste à restituer les éléments d’origine d’une maison ancienne suivant les règles d’arts, le savoir-faire traditionnel, l’utilisation des matériaux et des technologies appropriés, s’exécute ainsi dans un environnement légal.

1 Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction, communément appelée loi R-20.


Article tiré de La Lucarne – Automne 2024 (Vol XLV, numéro 4).

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